L’affaire des langues perdues de France

L’affaire des langues perdues de France

Quiconque a déjà essayé de pratiquer son français en France a été confronté à un regard de mépris et d’incompréhension, simplement parce qu’il a prononcé un mot légèrement faux ou qu’un reste de langue maternelle s’est glissé dans la phrase. Le français est notoirement difficile à apprendre, et la France ne rend pas les choses faciles. 

En 2018, l’homme politique français Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle de 2022 et leader du parti politique La France Insoumise, a répondu à une journaliste qui l’interrogeait sur les enquêtes de corruption dont il faisait l’objet en se moquant de son accent régional. “Est-ce que quelqu’un a une question formulée en français plus ou moins compréhensible ?”, a-t-il demandé aux journalistes. Une vidéo de cela, qui s’est répandue comme une traînée de poudre à travers la France à ajouter à un long discours sur l’insularité de la langue française. En fait, en 2020, la France est devenue l’un des seuls pays à devoir adopter une loi pour criminaliser la discrimination fondée sur les accents, l’assimilant au sexisme ou au racisme. 

La discrimination à l’encontre des accents régionaux non parisiens découle de la longue politique française d’une nation, une langue, qui a activement supprimé les dialectes et les langues régionales. En 1539, François Ier, qui souhaitait remplacer le latin, langue largement répandue, par le français, a signé l’ordonnance Viller-Cotterêts, qui rendait l’usage du français obligatoire dans tous les documents administratifs et judiciaires. À cette époque, le français n’était qu’une des nombreuses langues régionales parlées en France, avec plus de 20 langues dans la seule région du Nord. 

Cette ambition de remplacer le latin par le français, en tant que langue des intellectuels, a motivé le cardinal Richelieu à créer l’Académie Française en 1635, qui continue d’être le régulateur officiel du dictionnaire français. Au 18éme siècle, les dirigeants de la Révolution française ont supervisé la volonté d’établir le français comme langue nationale et ont promulgué des lois qui empêchaient l’enseignement des langues non françaises dans les écoles de la République. Bien qu’ils aient initialement adopté une politique de bilinguisme, traduisant les documents officiels du français vers les langues régionales, ils ont fini par imposer le français comme «langue unique de la liberté», en dépit du fait que plus de 6 millions de citoyens, principalement dans les zones rurales, ne pouvaient pas du tout parler ou comprendre le français. 

Des langues telles que le breton, l’occitan, le catalan et le basque, parlées par des millions de personnes, ont été mises de côté au XIXe siècle par des réformes de l’éducation qui punissaient les élèves qui parlaient leur langue maternelle à l’école. Des mesures similaires pour unir le pays sous une seule langue ont également été observées dans les gouvernements allemand et italien. Aujourd’hui encore, la Constitution française stipule que «la langue de la République est le français», et la France reste l’un des seuls pays européens à avoir une langue officielle unique.

En 2021, un député de la région Bretagne a fait pression pour faire adopter une loi historique visant à protéger et à promouvoir les langues régionales. Cette loi, connue sous le nom de «loi Molac», visait à permettre aux écoles publiques d’enseigner principalement dans les langues régionales, tout en enseignant également le français. Toutefois, cette loi a été invalidée par le Conseil constitutionnel français, au motif qu’elle violait le principe constitutionnel selon lequel le français est la langue nationale. Néanmoins, le mouvement de préservation et de protection des langues régionales continue de persévérer. Les écoles Diwan, par exemple, enseignent en breton et les régions d’outre-mer comme la Martinique et la Guadeloupe ont conservé leur créole natal.

La langue, en tant que moyen de communication, est organique et dirigée par les normes culturelles de ses habitants, qui évoluent et changent constamment. Une réglementation autoritaire d’une langue empêchant ses flux et reflux naturels limite la langue et ralentit sa progression, comme en témoigne le fait que, bien que le français québécois et belge ait été adapté pour rendre la langue neutre en terme de genre, la France semble avoir beaucoup plus de difficultés à le faire.

Le sociologue français Pierre Bourdieu a écrit que la langue n’est pas seulement un moyen de communication, mais aussi un mécanisme de pouvoir. Aujourd’hui comme hier, la rigidité et l’insularité de la langue française empêche son expansion organique et contribue à imposer le statu quo colonial et impérialiste, dans un pays en passe de devenir l’un des États les plus multiculturels de l’UE. L’asphyxie systémique par le haut des autres langues de la République a conduit à la disparition d’innombrables langues, mais aussi des cultures régionales uniques et riches.

Report by: Leah Koonthamattam, team < the DISSIDENT club >

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